
En marge du G7 2019, 32 groupes du secteur de la mode et de l’habillement ont annoncé s’engager pour limiter l’impact de la filière sur le climat, les océans et la biodiversité. Un engagement formalisé dans un Fashion Pact, que François-Henri Pinault, PDG du groupe Kering, a remis aux dirigeants du G7.
Traçabilité et transparence en premier plan
Ce pacte comporte 4 initiatives communes, la première étant “Transparency & Accountability: building the systems for certification, verification and traceability of materials and impacts through supply chains”.
Personne ne peut douter que Kering, H&M ou Nike, pour ne citer qu’eux, disposent de systèmes de traçabilité « classiques » à base de normes, de cahiers des charges d’audits, voire d’étiquettes sophistiquées. De quoi s’agit-il alors ?
Ce qu’ils reconnaissent à travers cette initiative, c’est que cette traçabilité « classique », que l’on peut décrire comme théorique et par échantillonnage, est désormais insuffisante. Elle ne permet plus d’assurer la transparence et la responsabilisation parmi tous les acteurs et sous-traitants de ces supply chains modernes et ultra fragmentées.
Ceci concerne bien plus d’acteurs que ces 32 signataires, et bien plus de secteurs que la mode et l’habillement. Pourtant, tout le monde n’a pas la lucidité ni le courage d’exposer ce problème, alors même que la demande de « transparence » est de plus en plus forte chez les consommateurs, au point de commencer à changer certaines pratiques d’achat. La tendance nette c’est que, moins il y a de transparence, plus l’opacité sur l’origine ou la composition est grande, plus les comportements d’achat sont volatiles.
Textile : une industrie aux impacts méconnus
Or en termes d’impact écologique, d’origine ou de composition, l’industrie textile tient une place significative. C’est la deuxième industrie la plus polluante au monde : on parle de 3 à 10% des émissions de CO2. En fait, on connait peu cette industrie qui nous habille. On sait peu que 63% des composants sont des plastiques, ou que 73% des vêtements fabriqués sont finalement incinérés, 2% à peine étant recyclés par l’industrie elle-même (Source Gayaskin).

En 2013 par exemple, la Chine était le premier producteur mondial de laine avec 22% du marché, suivi par l’Australie avec près de 17%, tous les autres producteurs représentant moins de 8% du marché, et pour l’immense majorité moins de 3%. En 2018, 70% à 80% de la laine australienne a été exportée vers la Chine. Ainsi, en prenant en compte une croissance de production entre 2013 et 2018, on peut aisément penser que 35% à 50% de la laine mondiale provient ou transite par la Chine (source Wikipedia et Les Echos). Quant au juste avez-vous vu pour la dernière fois la mention « laine de Chine » sur des chaussettes, un pull, un costume ou une moquette ?
La première fibre textile naturelle est le coton, qui représente plus de la moitié des fibres textiles naturelles du marché. En 2014, les deux premiers producteurs mondiaux sont la Chine et l’Inde, représentant chacun environ 25% du marché. En 10 ans, la Chine a en gros multiplié sa production par 2,5 et l’Inde par 4 (source Wikipedia).
La culture du coton pose des problèmes bien connus, certains décrits il y a plus de 10 ans par Erik Orsenna : assèchement des sols par la surproduction, pollution à l’arsenic de longue durée liée à certaines pratiques de défanage, travail d’enfants répété dans plusieurs pays. C’est bien de mettre un tee-shirt « sauvons la planète », mais enfin si ce tee-shirt n’a pas servi à financer du travail d’enfant ni de la pollution grave, c’est quand même plus cohérent.
Fashion Pact : vers la promesse d’actions concrètes ?
Notre consommation est le reflet exact du monde que nous finançons pour nos enfants. Chaque achat est un choix, un vote pour demain. Chacun a le droit de choisir ce qu’il veut, de s’intéresser à l’impact de ses choix, ou non. Mais la réalité aujourd’hui, c’est que ce choix est largement impossible par manque de transparence. Et la transparence est rendue difficile par le fait que les marques elles-mêmes ne disposent pas de l’information par manque de traçabilité précise sur leurs propres approvisionnements : seule la mise en place d’une traçabilité de bout en bout et temps réel changera la donne (voir notre article sur ce sujet).
L’initiative du Fashion Pact a ceci de formidable qu’elle porte une promesse d’actions concrètes. Elle est à l’opposé des messages marketing convenus et lisses que la perte de confiance et la demande de transparence rendent ringards.
C’est l’intérêt des industriels et des marques engagés d’être fiers et transparents sur leurs engagements : ceux qui ne seront pas transparents seront ceux qui ne le peuvent pas. Et le choix sera facile pour les consom’acteurs.
Matthieu HUG, CEO de Tilkal.